En l’année 520 de notre ère parvient au Monastère de la Petite Forêt, Shaolin Shi, un étrange individu à la peau claire, à la barbe hirsute et au regard de braise, habillé comme un barbare du Sud (Nan) et qui demande asile et protection. Son nom est Bodhidharma.
Il s’agit, selon ses dires, du fils aîné du Roi Sughanda, descendant du Bouddha, ce qui faisait de lui le vingt huitième patriarche indien. (Ce voyage est consigné dans une chronique chinoise datée de 543.)
Venant des Indes il avait demandé un entretien à l’empereur Wu de la dynastie des Liang (Liang Wudi ou Leang Wu Ti), protecteur du bouddhisme en Chine, et avait expliqué à ce dernier que malgré ses efforts et toutes les bonnes actions accomplies il n’avait pas encore acquis l’ombre d’un mérite.
Selon Bodhidharma le seul mérite concevable résidait dans la connaissance immédiate et mystique du néant de toute chose.
En un mot, les temples, les statues dorées, les images pieuses, les rituels, les dons... donc tout ce que le bouddhisme représentait en Chine... ne valaient rien au regard de la recherche de l’illumination.
Cette illumination ne pouvait s’obtenir que par le biais de la méditation, Dhyâna en sanscrit. Bodhidharma, littéralement l’Illuminé, ne proposait pas moins à l’empereur qu’une nouvelle conception du bouddhisme Mahâyâna et la remise en cause de tout un système moral, philosophique et religieux auquel Wu avait consacré toute sa vie.
L’empereur le prit très mal et congédia Bodhidharma qui ne dut la vie sauve qu’au simple fait d’être le disciple de Prajnâdhara (le vingt septième patriarche). Il se réfugia donc dans le plus fameux monastère de l’époque.
Ce monastère de la petite forêt (Shao Lin Shi en Chinois ; Sho Rin Ji en Japonais) situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Deng Feng, non loin de Luo Yang, la capitale régionale du He Nan, avait été créé au premier siècle de notre ère par un certain Batuo, nommé le " Premier Ancêtre " et consacré en 496 par l’Empereur Xiaowen (Chao Wen) des Wei du nord qui lui décerna le titre de " Premier Monastère sous le Ciel ". Il s’agissait donc d’un monastère déjà très connu avant l’arrivée de notre Illuminé.
Celui-ci, en arrivant au monastère commença une longue méditation, immobile, devant un mur. Cependant, au bout de trois ans de veille, le Prince Bodhidharma se laissa aller au sommeil et rêva des femmes qu'il avait jadis aimées. A son réveil, furieux de sa faiblesse, il s'arracha les paupières et les enterra. Quelques temps plus tard, il observa que les paupières avaient poussé, donnant naissance à un buisson qu'il n'avait jamais vu auparavant ; il en grignota les feuilles, et s'aperçut qu'elles avaient la propriété de tenir les yeux ouverts. Ses disciples chinois récoltèrent les graines ; ainsi commença la culture du thé. Cette découverte lui permit de prolonger sa méditation six longues années. Ce faisant il se mit à comprendre le langage des fourmis et découvrit la vérité.